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Photo du rédacteur: Amelia ZaazaaAmelia Zaazaa


LES PERMIS DE TRAVAIL FERMÉ, UNE FORME D'ESCLAVAGE MODERNE

Le 1er août 1834, le Slavery Abolition Act entrait en vigueur pour abolir l'esclavage dans tout l'Empire britannique et, par ce fait, également sur le territoire canadien. Cette date a été officiellement désignée Jour de l’émancipation depuis 2021 après un vote unanime de la chambre des communes. Ainsi, le gouvernement canadien, par ce geste politique, dit vouloir inviter les citoyen·nes chaque année à la reflexion et à la prise de conscience que l’esclavage a bien existé. On souhaite aussi souligner les luttes et la résistance des personnes noires et autochtones qui ont subi l’esclavage et qui ont permis son abolition, ainsi que plus généralement leurs riches contributions à la société canadienne.

On pourrait ainsi croire que ce chapitre peu glorieux de l’histoire canadienne est derrière nous et que nous aurions évolué depuis pour ne plus jamais permettre que des êtres humains soient dépossédé·es de leurs droits à cause de leur couleur de peau, de leur appartenance ethnique ou encore de leurs croyances religieuses. Pourtant, les faits mettent en évidence une toute autre réalité, pour le moins alarmante.

Près de deux siècles après le Slavery Abolition Act, des programmes d’immigration tels que le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) constituent un terreau favorable à des formes d’esclavagisme moderne. Cette dernière affirmation est celle du rapporteur spécial de l’ONU Tomoya Obokata, dans son rapport préliminaire publié ce 7 septembre.

Lors d’une mission de deux semaines dans notre pays, l’expert en droit international a rencontré plus d’une centaine de membres de la société civile canadienne ainsi que de nombreux·ses travailleur·euses temporaires avant de lancer l’alerte publiquement. Il se dit profondément troublé par les récits d'exploitation et d'abus dont lui ont fait part des travailleur·euses migrant·es dans les différentes provinces.

Une réalité tristement documentée

Ce constat n’est malheureusement plus une surprise pour grand nombre de gens, puisque depuis plusieurs années et plus particulièrement depuis la pandémie, nous prenons conscience collectivement, à coup de documentaires, de reportages, d’enquêtes spéciales et de témoignages qui se multiplient dans les médias, que des centaines de milliers de migrant·es temporaires sur le territoire canadien sont exploité·es et traité·es comme une main d’oeuvre à faible coût et jetable.

Ces travailleurs·euses qu’on a pourtant qualifié·es d'essentiel·les durant la pandémie, sont empêché·es de la pleine jouissance de leurs droits.

Ils sont exploité·es dans les champs, dans les usines, dans les CHSLD, dans les grandes chaînes alimentaires et en tant que travailleurs.es domestiques. Ne détenant qu’un permis de travail fermé qui lie leur statut migratoire à leur emploi et habitant le plus souvent sur leur lieu de travail, ils et elles sont totalement à la merci de leurs employeurs et deviennent inévitablement vulnérables. Une enquête récente de Pivot faisait l’illustration de ces abus dans le secteur manufacturier québécois.

L’industrie du cheap labor

Selon les plus récents chiffres, près de 7000 employeurs québécois ont entamé un processus d’embauche à l’étranger entre octobre 2021 et la fin septembre 2022, pour combler des postes à bas salaire dans des secteurs où le travail est ardu et les conditions difficiles.

Cette tendance n’est pas récente, elle ne fait que s’accentuer d’une manière fulgurante car ces emplois ne peuvent être comblés localement. Les entreprises québécoises et canadiennes se tournent par conséquent vers une nouvelle forme d’externalisation où elles vont chercher du cheap labor ailleurs. Il s’agit essentiellement de populations vulnérables et racisées, forcés de quitter leurs pays à cause de la dégradation de leurs conditions de vie.

Dans leur quête, ces employeurs passent par de multiples intermédiaires et agences de recrutement, canadiennes ou étrangères, qui profitent d’un marché peu réglementé pour vendre du rêve à des migrant·es issu·es essentiellement des pays du Sud global. Les frais payés aux agences et parfois même aux employeurs piègent les travailleurs dans un cercle vicieux où ils et elles se retrouvent à travailler comme des forcené·es pour payer leurs dettes.

La majorité des personnes qui arrivent nourrissent l’espoir légitime d’offrir une meilleure vie à leurs familles et tentent de naviguer un système labyrinthique pour accéder à un statut permanent. Dans ce parcours du combattant, plusieurs d’entre eux et elles sont aussi malmené·es par des pseudo avocats et conseillers juridiques, qui pompent leurs ressources sans pour autant leur offrir accès à ce qu’ils et elles sont venu·es chercher.

Faire diversion

Pourtant, cette dernière année, ce n’est pas de ces migrant·es-là que le gouvernement nous a le plus parlé. Nous avons plutôt été témoins d’une saturation de l’espace médiatique par le gouvernement de la CAQ qui exigeait la fermeture du chemin Roxham.

Les réfugié·es et demandeur·euses d’asile ont été l’arbre que le premier ministre Legault a utilisé pour cacher sa forêt.

En réalité, pendant qu’il tentait de bloquer l’accès à quelques milliers de personnes en situation de vulnérabilité et dont les droits sont protégés par des traités internationaux, son gouvernement a fait rentrer des centaines de milliers de gens avec des permis temporaires. On aurait même enregistré un chiffre record de 346 000 personnes non résidentes permanentes au Québec au début de l’année 2023. Il s’agit d’une proportion sept fois supérieure au nombre de résidences permanentes accordées par la province sur toute l’année.

En définitive, on ne peut analyser ce choix politique en dehors du prisme des droits humains. Le Québec tout comme le Canada refoulent des réfugié·es et demandeur·euses d’asile, dont les passerelles vers la régularisation sont claires, pour privilégier une migration temporaire de personnes dont les droits sont moins bien protégés et pour qui les passerelles vers la régularisation sont inexistantes.

À ce titre, précisons que le Québec a, depuis 2018, retiré le droit aux travailleur·euses temporaires qu’il qualifie de « peu spécialisés » la possibilité de déposer une demande de résidence permanente par le Programme de l’expérience québécoise. À cet égard, pourtant, le rapporteur Obokata affirme dans son rapport que « les travailleurs étrangers dits "temporaires" répondent à un besoin permanent sur le marché du travail et possèdent des compétences précieuses qui sont essentielles à l'économie canadienne ».

Il exhorte en conséquence les autorités canadiennes à régulariser leur statut migratoire et à mettre fin au système fermé des permis de travail. Selon lui, « le Canada doit permettre à tous les migrants un meilleur accès à la résidence permanente, afin d'éviter que les abus ne se reproduisent ».

Il est en effet absurde de continuer à qualifier de « temporaire » une crise qui est structurelle et qui sera durable dans le temps. Continuer à y répondre par des permis temporaires signifie qu’on crée intentionnellement une classe de travailleur·euses vulnérables qu’on peut remplacer dès qu’ils et elles ont la santé trop détériorée pour continuer à être exploité·es.

Réparer les torts

Les dernières années de pandémie et les multiples crises qui se succèdent depuis ne cessent de nous montrer combien nous sommes inter-dépendant·es, au-delà des frontières décidées par les États, et combien notre survie en tant qu'espèce dépendra de notre capacité à réfléchir des solutions globales et solidaires.

Le Canada en tant pays membre du G7 et en tant que chef de file qui inspire les politiques migratoires du reste du monde occidental, doit assumer la responsabilité qui lui revient, au même titre que les autres puissances mondiales, dans la dégradation des conditions de vie, qui forcent aujourd’hui des millions de personnes à abandonner leurs territoires.

Comme plusieurs migrant·es précaires n’ont cessé de le marteler dans leurs innombrables témoignages qu’on a entendus ces derniers temps, on ne quitte jamais son chez soi et sa communauté de gaieté de cœur. Ils et elles quittent parce qu’il ne leur reste plus d’autre choix, parce que le monde actuel façonné par des siècles d’impérialisme et de capitalisme a creusé des inégalités insoutenables et a transformé plusieurs territoires en lieux inhabitables.

En somme, notre salut collectif passera inévitablement par notre capacité à remplacer le paradigme de la charité par celui de l’imputabilité et à remettre en question les murs des forteresses érigées par l’Occident pour préserver les privilèges d’une minorité face à une majorité en péril.



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